A la mémoire du Vénérable Thích Thông Triệt
Introduction à la Méditation Sunyata

 

 Le Vénérable Thích Thông Triệt, fondateur de l’école de Méditation Sunyata, est décédé le 27/12/2019 aux États-Unis, à l'âge de 90 ans. Il a laissé derrière lui un courant de méditation unique dans le monde d’aujourd’hui.

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Vénérable Thích Thông Triệt (1929 - 2019)


La lumière de l’éveil

 

Maître Thông Triệt était un disciple du Maître Zen Thanh Từ et fut ordonné en 1974. Durant les années suivantes, Maître Thông Triệt avait pratiqué la méditation sans relâche, et ce même dans les situations les plus difficiles. Après 7 ans d’efforts et ayant connu des situations quasi désespérées, il réalisa soudainement son éveil. D’après son récit, il fit l’expérience de la Vacuité dans une sorte d' "illumination subite". La "vacuité" lui apparut soudainement une fois qu’il abandonna toutes les terminologies compliquées des textes académiques du bouddhisme Zen "… Pas de méditation, pas de contemplation, pas de samatha, pas de samādhi, pas de demeure, pas de séparation…". Ce sont pourtant les définitions mêmes des méthodes Zen, mais elles ont été exprimées par les paroles.

L’éveil réside dans le fait que le Zen est  à la base non verbal mais chaque méthode de méditation doit être expliquée, explicitée par les paroles.  Quand le pratiquant arrive à se libérer des paroles et des concepts, alors l’illumination se manifeste immédiatement dans son esprit.

Après une très longue période d'observation assidue des activités de son mental et de sa capacité à entrer en samādhi, le Maître a reconnu clairement que la conscience et la pensée – les obstacles sur le chemin du Zen - apparaissent souvent sous la forme de murmures mentaux, qu'il nomme "le bavardage mental". Sur la base de ses propres expériences, le Maître a considéré qu'arrêter ce bavardage mental entraînerait l’arrêt des pensées vagabondes et l’accès immédiat à l’expérience du samādhi  "Avitakka (sans murmure), Avicara (sans dialogue mental)" de la tradition Zen bouddhiste.

En 1992, le Maître s'installa aux Etats-Unis et fonda l’école de Méditation Tánh Không (Sunyata). Depuis plus de 25 ans, il n’a pas cessé de transmettre ses méthodes et la clef de son éveil à tous ceux qui aspirent à les acquérir. Durant ce temps, beaucoup de ses disciples de par le monde, des Etats-Unis à l’Europe, en passant par l’Australie et le Vietnam ont acquis les principes et pratiqué la méditation avec succès.

L’auteur de ces lignes est un des ses disciples depuis de nombreuses années. En guise de reconnaissance profonde à un Maître totalement éveillé et dévoué, cet article est rédigé afin de présenter succinctement  l’œuvre  et le contenu de la méthode de méditation du Vénérable Thông Triệt.

 

Plus de murmures mentaux

Tous les pratiquants de méditation ont entendu parler des quatre niveaux de Samādhi, niveau élémentaire, second niveau, troisième niveau, quatrième niveau de méditation de Bouddha. A notre époque, la plupart des méditants ont pu seulement faire l’expérience des deux premiers niveaux.  La particularité du premier niveau de méditation est "se séparer des avidités, des malveillances", c'est-à-dire une forme de conscience dans laquelle il n’existe pas toutes sortes de demandes et de désirs… mais seulement la reconnaissance des phénomènes qui se produisent à chaque instant  dans son mental. Dans cette étape élémentaire de la méditation, le méditant  ressent une sorte de joie née de l’arrêt du désir. La particularité du second niveau de méditation est une forme d’état mental "Avitakka, Avicara" (sans murmures mentaux, sans dialogues mentaux), c'est-à-dire un esprit dans lequel il n'existe aucune pensée, aucun raisonnement, aucune délibération, aucun questionnement… Dans le second niveau de zen, quand le méditant  atteint cette vacuité, alors il y a une forme de félicité "née du samādhi". Par conséquent, nous pouvons dire que le samādhi n'apparaît que si l'on atteint le deuxième niveau de zen.

Quiconque s'est déjà assis sur un coussin de méditation sait que la chose la plus difficile pour un pratiquant est de passer du Premier niveau au Second niveau de Zen. À ce moment là, le mental se libère des activités de la conscience et de la pensée tels que le raisonnement intérieur, la réflexion sur le bon et le mauvais, l’auto-questionnement. L’école de Méditation Sunyata appelle simplement ces activités des "murmures mentaux". Au deuxième niveau de Zen, surgit la bouddhéité ou la connaissance  perpétuelle  et silencieuse qui  illumine à l’intérieur comme à l’extérieur de l'esprit. Là où il n’y a ni question, ni réponse, ni d’interrogation qui puisse entraîner l’espérance ou l’interprétation.

Beaucoup d'entre nous sont incapables de faire la distinction entre "la connaissance" et la pensée, car souvent la pensée suit la connaissance comme son ombre. En réalité, il existe une forme de connaissance associée à un mental silencieux, c’est ce que la Méditation Sunyata appelle "La connaissance sans parole" (ou "La connaissance non verbale ").

Examinons maintenant la Connaissance visuelle (la vue). D’après le Bouddhisme, lorsque une chose se présente (la forme, l’objet de la vue) et que l'œil (l’organe visuel) y fait attention, alors une conscience visuelle naît. Nous pouvons considérer  la conscience visuelle comme l'interaction entre les yeux et la forme. La conscience visuelle est comparée à un pont dont les deux piliers sont la forme et l’organe visuel. Lorsque la conscience initiale est apparue, il s’agit de la « Vision sans parole ». Mais une infime fraction de seconde (ksana) après, notre mental se met tout de suite à évaluer la forme, bien que le méditant y porte  toujours son attention, la Vision devient "avec parole". Ainsi lorsque notre conscience discriminante apparaît, nous laissons sans le vouloir le concept préexistant dans notre mental prendre la place de la forme actuelle.

Par conséquent, la Connaissance sans parole, sans aucune  trace du concept, du passé, de la conscience observatrice, est la façon d'appréhender les choses "telles qu'elles sont". C'est pourquoi Bouddha a enseigné dans le sutta Bàhiya  ("... dans le vu il y a seulement le vu, dans l’entendu il y a seulement l’entendu…") dans lequel Bouddha ne fait jamais référence à celui qui voit, ni celui qui entend...

Donc "sans parole" est le secret, la clé de la Méditation Sunyata pour que les pratiquants puissent  du premier niveau atteindre le deuxième niveau de méditation. Comparée à l'enseignement du Bouddha, cette méthode de méditation est en fait contenue dans les "Quatre établissements de la connaissance juste", ce que nous appelons souvent la connaissance juste "du corps, des sensations, du mental et des phénomènes mentaux". Si la méthode de méditation traditionnelle de "l’attention au souffle" du Bouddha est considérée comme de la "connaissance juste du corps", la méditation Vipassana du maître zen Goenka (1924-2013) est  "la connaissance juste des sensations", la Méditation Sunyata peut être considérée comme "la connaissance juste des dharma (phénomènes mentaux)".  Cette connaissance juste des dharma dans la Méditation Sunyata signifie : identifier les dialogues mentaux pour s’en séparer.

Les quatre établissements de l’attention juste "au corps, aux sensations, au mental et aux dharma" sont en fait étroitement liés, ils interagissent les uns avec les autres selon la loi d’interdépendance. Dans la vie de tous les jours on peut constater que lorsque la colère surgit (le mental), le visage change, la respiration se précipite (le corps). Dans la méditation, cela devient encore plus évident, lorsque le mental est silencieux, le corps est calme, les réactions biochimiques bénéfiques se manifestant dans le corps, apportant dans son sillage la joie et  la capacité de réguler. Conscient de cette relation, et depuis le tout début de son séjour en Amérique, le Vénérable Thông Triệt a fait de nombreuses découvertes intéressantes et utiles pour les pratiquants Zen.

 

Découvertes en neurosciences

En développant la méthode "Connaissance sans parole", nous en aborderons ses 4 aspects: "Voir sans parole", "Entendre sans parole", "Toucher sans parole" et "Cognition sans parole". Ce sont les quatre passerelles pouvant  nous amener au deuxième niveau du Zen. Nous savons déjà que dans le cerveau il y a des aires liées aux sens et aux capacités de penser telles que le raisonnement, le langage, l'imagination ... Lorsqu’un de ces centres est endommagé, la personne atteinte perd sa capacité associée. Maître Thông Triệt pensait que les aspects des connaissances  "sans paroles" mentionnées ci-dessus pourraient se localiser à des endroits bien précis dans le cerveau humain.

Depuis 1994, il s'intéressait à l'activité de l'hypothalamus dans le cerveau et pensait que cette région est liée à la "Connaissance sans parole". En 2006 et durant plusieurs années suivantes, à l'Université de Tübingen (Allemagne), il s’est fait prendre des photos de son propre cerveau à différents stades de méditation, afin d'identifier les aires cérébrales associées à ces états mentaux. Les résultats étaient vraiment étonnants. Les aires cérébrales associées à la conscience sont situées dans la partie préfrontale du cerveau, tandis que la "connaissance sans parole" est localisée dans la partie postérieure de l'hémisphère gauche, en particulier la "cognition" est située dans le précunéus de la face interne du lobe pariétal du cortex cérébral. Les résultats de ces travaux ont été publiés par les Dr Michael Erb et Ranganatha Sitaram lors de la conférence OHBM (Organisation de cartographie du cerveau humain) à Barcelone en 2010 et au Québec en 2011.

Avant Maître Thông Triệt, aucun maître Zen ne s’est intéressé à ce sujet, probablement parce qu'auparavant les moyens pour étudier le cerveau n'existaient pas. Mais les Suttas ont bien mentionné à plusieurs reprises le rôle du corps humain dans le chemin de l'illumination, considérant le corps comme le moyen prééminent pour entamer  le chemin du Zen. La Méditation Sunyata considère que pour pratiquer la méthode "Sans parole", en plus des méthodes traditionnelles, le méditant peut exciter activement ces "aires sans parole" du cerveau, afin d’éliminer les pensées, les réflexions, les déductions, et de bloquer le "sentier des  paroles", afin d’entrer dans le samādhi Avitakka, Avicara.

Ainsi, entre le mental et le cerveau, un chemin à double sens est établi. En examinant globalement les Quatre fondements de la connaissance juste, c'est une forme de coordination active entre  la "connaissance juste des dharma" et la "connaissance juste du  corps".

En résumé, l’œuvre léguée par le Maître Thông Triệt aux méditants du courant Médiation Sunyata se compose de deux volets exceptionnels. Premièrement il a déterminé que le bavardage dans la tête (murmures mentaux) est l'activité de la base mentale, de la conscience discriminante et de l'intellect dont la localisation se situe dans le lobe préfrontal du cortex. Si le méditant veut entrer dans le samādhi Avitakka, Avicara, il lui faut éviter  voire éliminer les murmures mentaux. Deuxièmement Maître Thông Triệt a identifié l’existence de la "Connaissance sans parole", à savoir la Vision sans parole, l’Ouïe sans parole, le Toucher sans parole dont la localisation se trouve dans la partie postérieure de l'hémisphère gauche. Ces trois Natures sans parole constituent  la porte d’entrée dans le samādhi Avitakka, Avicara. Pratiquant la méditation de façon assidue, le méditant aura la capacité d'atteindre la Cognition sans parole, une forme de samādhi profonde, avec comme aire cérébrale associée le précunéus.

 

Une méthode zen pour les temps modernes

Bien que possédant les caractéristiques mentionnées ci-dessus, en réalité,  la Méditation Sunyata n’est que le développement moderne de la tradition zen originelle du Bouddhisme. Le méditant pratique la méthode "sans parole" de manière familière, comme "ne pas parler dans la tête", "ne pas nommer l'objet", "ne pas saisir un aspect, ne pas saisir un détail". En ce qui concerne les facultés sensorielles, le méditant pratique les méthodes visant à s’éloigner des paroles telles que "regarder l’espace vide, regarder le milieu", "écouter par la nature de l'ouïe" ou "relaxer la langue". La chose la plus importante dans la Méditation Sunyata est que nous devons pratiquer dans nos activités quotidiennes, dans les quatre postures debout, couché, assis et en marchant, durant lesquelles nous enregistrons tout, et ce sans déduction, ni délibération, ni critique, ni comparaison. Cela produira une "habitude non verbale", une nouvelle habitude dans l'esprit, c'est à dire la connaissance sans les paroles qui l'accompagnent.

Avec la découverte de la connexion étroite entre les formes mentales et les aires cérébrales, nous connaissons plus clairement les niveaux de Zen et ses effets mentaux bénéfiques affectant directement le système nerveux humain. C'est dans l'état de samādhi que le méditant activait le système nerveux "parasympathique" au lieu du système "sympathique".  Lorsque le système parasympathique est activé, certaines réactions biochimiques ont lieu, ce qui  apporte la sérénité à l'esprit et la santé à l'homme. Ces effets bénéfiques sont aussi reconnus depuis longtemps par les études occidentales sur le Zen. Avec les découvertes sur le cerveau humain, la Méditation Sunyata apporte un éclairage scientifique sur une pratique spirituelle de l'Orient et souligne une fois de plus que le Zen n'est ni opaque ni mystérieux. Dans son corps et son esprit, le méditant trouve l'origine de la souffrance et s'en émancipe. Concrètement dans la pratique, le sentiment de joie et de paix dans le corps indique au pratiquant qu'il est sur la bonne voie.

Parallèlement aux méthodes de pratique, la Méditation Sunyata apporte également un enseignement sur de nombreux sujets appartenant aux doctrines bouddhiques tels que l'Ainsité, l'Illusion, le Non-soi et le Non-désir. Présentés de façon bien ordonnée et claire par la Vénérable Triệt Như, outre les aspects théoriques de base du bouddhisme, ces enseignements éclairent les pratiquants et les érudits sur la raison pour laquelle seule la méthode "Ne pas parler" ou le Mental Sans Pensée peut les amener à la véritable Réalité. Nous savons ainsi qu'il y a différents stades dans la méditation, que le Samatha et le Samādhi sont différents, que le Samādhi a également de différents niveaux dont seuls les pratiquants peuvent se rendre compte par eux-mêmes. Les différences subtiles entre ces niveaux ne pourront être distinguées que par leurs caractéristiques fondamentales "Avec parole" ou "Sans parole".

D'un point de vue général, la méthode "Ne pas parler" (Không nói) de la Méditation Sunyata, comme toutes les autres méthodes Zen, ne convient qu'aux pratiquants possédant certaines prédispositions. La méditation basée sur les Quatre fondements de la connaissance juste (du corps, des sensations, du mental et des phénomènes mentaux) s'ouvre à de nombreuses méthodes différentes et à leur combinaison. En se mettant à pratiquer, chaque pratiquant se rendra compte progressivement par lui-même que telle ou telle méthode lui convient mieux. En effet, l'esprit de chaque pratiquant est différent, chaque personne a de différents obstacles profondément ancrés dans son esprit, et lorsque toutes les conditions favorables seront réunies, il pourra par lui-même "s’en affranchir".

En conclusion, nous pouvons dire que la méthode "Không nói" convient à notre époque, en particulier aux intellectuels. Le monde dans lequel nous vivons est considéré comme l’ère de l'information et de la connaissance. L'information inonde notre vie, de nombreuses connaissances inutiles nous assaillent, nous obligent à réagir, à évaluer, à peser le pour et le contre. Notre esprit est toujours envahi de raisonnements, notre vie intérieure n'est jamais en paix. En outre, cette période est aussi l'ère de l’intellect. Le langage, la pensée, le raisonnement sont souvent considérés comme les qualités prééminentes de la société. L'homme contemporain, en venant à la méditation bouddhiste, doit être surpris d'entendre que les méditants doivent s'affranchir des paroles et des raisonnements pour retrouver la joie de Samādhi. Par conséquent, la méthode "Không nói" malgré la très grande difficulté qu'elle pose à beaucoup de personnes de notre époque, constitue l'antidote efficace pour ceux qui cherchent sincèrement un chemin d'émancipation. Pendant de nombreuses années, la Méditation Sunyata a aidé de nombreuses personnes, au Vietnam comme à l'étranger, à trouver une voie spirituelle qui leur corresponde. Maître Thông Triệt est parti, mais son Dharma est toujours enseigné dans de nombreux centres Sunyata des quatre coins du monde.

 

31/12/2019

NGUYỄN TƯỜNG BÁCH

(Source:  GIÁC NGỘ n° 1033 – 10/01/2020)

Traduit en français par Marc Giang (de Sunyata Toulouse) avec le très précieux concours de Nhất Hòa, Từ Tâm Chánh, Tuệ Tỉnh et Huệ Thông (de Sunyata Paris).